Le curé qui mangea des mûres
- Enzo, 5ème
- 14 mars 2016
- 3 min de lecture
Le Fabliau :

Un curé voulait se rendre au marché. Il fit préparer sa mule et se mit en chemin.
L'automne s'éternisait, il faisait beau, un délicieux parfum flottait dans la douceur de l'air et le curé sur sa bête parcourait les pages de son bréviaire en levant de temps à autre son regard sur la paisible campagne. Il sapprochait du village, quand il remarqua, surgissant du côté de la route, un étroit chemin, avec par delà le fossé une haie chargée de mûres brillantes.
"Sainte Vierge, s'exclama l'homme, jamais je n'ai vu de tels fruits !"

Il s'engage sur le chemin, juge de la profondeur du fossé, réfléchit un moment, mais il se décide : il avance sa mule et atteint le buisson. Il cueille avec gourmandise les mûres fondantes. Elles sont délicieuses, sucrées et aigres à la fois. Il se pique la main mais, tout à son péché, il remarque à peine la brûlure des épines. Il ne veut pas laisser perdre pareil trésor.
Cependant, les fruits les plus gros couvrent le sommet de la haie. Ils luisent à la lumière brillante du soleil. Pour s'en saisir, le curé se dresse en équilibre sur la mule ; il se campe bien sur ses deux jambes et il savoure les mûres offertes. La mule est patiente, elle n'esquisse pas le moindre mouvement.
Satisfait et comblé, le curé contemple sa compagne. Il admire son air tranquille et ne peut s'empêcher de songer :

"La brave bête que voici ! S'il arrivait qu'un farceur se mette à crier « Hue », je chuterai de tout mon long dans le fossé !"
Le maladroit ! Il avait songé à voix haute et avait dit « Hue ». La mule s'écarte du buisson, le curé perd l'équilibre et tombe à la renverse. Sa cheville s'est tordue et enfle, le fossé est glissant de terre humide, il ne parvient pas à se redresser. Pris dans les plis de sa soutane, il dérape. Il souffre, impossible de tenir sur ses jambes, il retombe. La mule l'observe, elle regagne la route. Elle a faim elle aussi. Au petit trot, elle regagne le presbytère sans plus attendre son infortuné maître.
Quand ils la voient arriver, seule, les valets sont pris dinquiétude :
"Notre curé a eu un malheur, disent-ils. Partons à sa recherche, sans doute est-il en bien mauvaise posture."
Ils se mettent en route aussi vite qu'ils peuvent et arrivent près du chemin. Le chapelain entend leurs pas précipités, il sécrie :
"Holà ! Je suis ici, dans le fossé. J'ai des épines partout, portez moi aide !
- Mais que faîtes vous en pareil lieu, monsieur le curé ? Tenez vous bien... Par quelle infortune êtes vous parvenu en cet endroit si misérable ? La route est loin d'ici.
- Ah ! Le péché, le péché. J'avais beau me consacrer à la lecture de mon bréviaire, les mûres m'ont tenté. Je suis monté debout sur la selle ! Aidez moi à rentrer je vous en prie. Je suis épuisé de douleur.
Il ne faut jamais penser tout haut, Messeigneurs."
Vocabulaire :
Bréviaire -> Livre contenant l'office divin que devaient réciter chaque jour les clercs qui étaient dans les ordres sacrés.
Soutane -> Robe longue descendant jusqu'aux talons et portée par les ecclésiastiques.
Presbytère -> Lieu de résidence du curé de la paroisse.
Les Personnages :
Le curé : qui céda à la tentation de la gourmandise
Les disciples : qui viennent chercher le curé dans le faussé
Ce qu'il faut comprendre :
Le curé est montré de manière comique, grotesque même. Il commet le pêché de gourmandise en voulant attraper les mûres, mais il est puni pour sa convoitise quand il va jusqu'à monter sur le dos de sa mule pour attraper les fruits qui lui font le plus envie : il pense à haute voix et se retrouve piégé dans un buisson de ronce. Il est alors obligé d'avouer son pêcher devant ses valets.
Morale :
Il ne faut pas céder à la tentation de la gourmandise mais il ne faut pas non plus penser à haute voix sinon on risque de se mettre dans l'embarras.
Ouverture :
La fable de La Fontaine intitulée "Renard et les raisins" raconte également une histoire de gourmandise, mais de façon différente. Ici Renard n'arrive pas à atteindre les raisins qui lui font tant envie. Il fait donc mine de trouver que les raisins ne sont pas assez mûrs à son goût car il est frustré de ne pas avoir pu les manger.
Certain Renard Gascon, d'autres disent Normand, Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille Des Raisins mûrs apparemment, Et couverts d'une peau vermeille. Le galand en eût fait volontiers un repas ; Mais comme il n'y pouvait atteindre : "Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats." Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
Jean de La Fontaine, « Le Renard et les raisins », Fables, Livre III, 1668.
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